Cet article fait suite à cette vidéo concernant les Ruines des Quilmes, en Argentine. Vous souhaitez en savoir plus? Dans cet article vous découvrirez en quoi ce site archéologique nous parle du sentiment de déracinement en expatriation.

Un lieu, des enjeux. Bonne Lecture !

I) Expatriation et déracinement.

L’expatriation, la migration sont des concepts souvent confus ou confondus autant pour ceux qui vivent cette expérience que pour ceux qui la pensent. Cette confusion reflète peut-être la difficulté de ses acteurs, c’est-à dire les expatriés ou les migrants, à se définir eux-même. Pour éclaircir un peu le débat, nous pouvons dire qu’il existe deux types de migrations:

      -la migration volontaire             ou                          – la migration forcée

“La migration volontaire où le sujet assume le désir de partir et celle qu’on appelle forcée, celle du réfugié ou l’exilé, où le changement est obligé par les circonstances qui ne dépendent pas de lui. Chacune a sa spécificité. Pourtant, toutes les deux ont une caractéristique commune : on abandonne le quotidien, les points de repère, l’appartenance à un groupe, tout ce qu’on a construit dans l’endroit où il y a les racines.” cf : Histoire, migration et déracinement: le legs de Marie Langer, de Graciela Graschinsky de Cohan, p.64.

Une distinction pourtant me semble importante à faire. Dans le cas d’un déplacement géographique volontaire, autrement dit d’une expatriation, le retour au pays demeure une possibilité. Ce qui au départ est un privilège qui témoigne d’une grande liberté de mouvements internationaux, finalement peut devenir un dilemme:

Comment planter ses racines si le retour au pays est toujours possible?

Le retour, pour l’expatrié libre de ses mouvements et de ses choix, le condamne quelque part à vivre dans cet entre-deux, entre l’héritage et son appartenance à son pays d’origine et son envie de s’intégrer au pays d’accueil. Et c’est dans ce dilemme là, que le sentiment de déracinement peut apparaître. L’ombre et le spectre du pays d’origine étant toujours présents, le déracinement devient le symbole d’une impossibilité de choix et vient alors faire symptôme dans une situation qui place l’expatrié dans un conflit interne profond et un sentiment d’impuissance important.

II) Le déracinement et ses conséquences

A) Ce quelque chose qui fait mal…

Le sentiment de déracinement et la douleur qui l’accompagne, en général, n’apparaissent pas de manière brutale. Je dirais qu’il s’agit d’un sentiment qui se construit à l’intérieur de soi, petit à petit, agissant dans les soubassements de son être et qui guette un moment de faiblesse pour faire surface. Le symptôme, qui lui peut être brutal, n’est que le résultat d’un long processus qui s’est construit dans la durée de l’expatriation. Nous verrons comment le site des ruines de Quilmes que je vous présente dans la vidéo Ta Psy en Vadrouille, nous parle de cette sourde douleur.

Le peuple des Quilmes en Argentine du nord, a été persécuté par les envahisseurs espagnols durant 130 ans puis ensuite vaincus en 1664. Les survivants ont dû rejoindre le sud de Buenos Aires à pied, c’est à dire à plus de 1000 km de là, à un endroit qui sera nommé : la ville de Quilmes. Dans ce cas précis, le déracinement est d’abord entendu au sens premier du terme, les quilmes non seulement sont obligés à l’exil, mais ils doivent marcher sur une très grande distance. A travers leurs pieds qui foulent la terre ce sont leurs racines qui sont directement visées et punies par les conquistadors espagnols. C’est une déportation qui mène au déracinement géographique et psychique.

Cet évènement historique, qui peut au travers des âges devenir une métaphore du déracinement, vient nous parler de ce quelque chose de violent qui existe dans l’expatriation, ou autrement dit, de ce qui vient faire violence. Comme je viens de le mentionner, la marche vient faire violence. Elle est longue et surement lente dû aux conditions qui ont été les leurs. On pourrait l’analyser comme étant un symbole de la lente et profonde douleur du sentiment de déracinement qui peut toucher chaque expatrié.

Dans l’expatriation, il y a aussi de la douleur lorsqu’on laisse nos proches; lorsqu’on change d’univers culturel; lorsqu’on doit incorporer de nouvelles habitudes; apprendre, penser ou se penser dans une autre langue etc… Pourquoi donc ? Car c’est accepter de laisser de côté, des “bouts” de nous. C’est l’acceptation d’un morcelage géographique (quitter son pays d’origine) qui entraîne par la suite un morcelage affectif et psychique.

A la question :

S’expatrier, est-ce forcément ressentir ou vivre le déracinement ?

Dans cette optique je réponds oui. Même une expatriation vécue positivement est traversée par ce phénomène. On ne peut quitter ce qui est sien sans renoncement, sinon c’est que ce n’était déjà pas à soi. Cependant, l’intensité du sentiment de déracinement diffère d’une personne à une autre, d’une situation à une autre. Et rien n’est figé, il suffit d’un changement dans notre vie pour que le sentiment de déracinement s’atténue et se transforme.

B) L’absence

Il y a aussi la question de l’absence dans le déracinement. Les ruines de Quilmes en deviennent un symbole parlant puisqu’il y règne le silence de l’absence. Ce site archéologique m’a touché dans la trace qu’il a laissé: un vide rempli de présence, un “vide-plein”. Lorsque je suis allée à la ville de Quilmes au sud de Buenos Aires, j’y ai rencontré l’inverse: une ville remplie de vide, un “plein-vide”.

continuer à « être présent en dépit de l’absence », à être « présent même absent et même là où on est absent » – ce qui revient à « n’être que partiellement absent là où on est absent » – c’est le sort ou le paradoxe de l’émigré – et, corrélativement, à « ne pas être totalement présent là où on est présent, ce qui revient à être absent en dépit de la présence », à être « absent (partiellement) même présent et même là où on est présent » – c’est la condition ou le paradoxe de l’immigré. La double absence, Abdelmalek Sayad, p. 106-107

C’est donc la réalité de l’expatrié que de vivre dans un espace-temps qui défie le sens commun. Être ici en étant la-bas, un la-bas pourtant absent ici. Phénomène d’autant plus accentué avec les réseaux sociaux qui ajoutent la présence virtuelle, encore presence-absence, entre deux univers géographiquement séparés.

III) Alors que faire ?

Pas d’inquiétude, vous aurez compris que le sentiment de déracinement peut toucher chaque expatrié et pour autant il n’est pas une fatalité. Je préfère le voir plutôt comme une occasion de se réinventer. Effectivement chaque moment de doute ou de difficulté nous envoie un message qui est souvent le suivant : “ ton équilibre actuel ne te convient pas.” En ce sens, le sentiment de déracinement parle de la difficulté à trouver et conserver un équilibre identitaire entre ses nombreuses appartenances culturelles. D’ailleurs non seulement il n’est pas une fatalité mais il est apparemment un ingrédient essentiel pour se construire une double identité:

“La nostalgie de l’immigrant est vitale à la construction de sa double identité. Sa vitalité, son imaginaire et sa créativité en dépendent et les différents modes de l’évocation nostalgique seront les garants du sentiment de continuité et de cohésion internes par-dessus les différences, les départs et les ruptures.” Du déplacement au sentiment d’exil, de Ségolène Payan, p.175

Autrement dit, la nostalgie ou la tristesse, sentiments que provoque le déracinement, sont du matériel qui vous permettra de créer du lien entre votre culture d’origine et celle/s que vous avez acquise/s. Ainsi au lieu de vous sentir perdu/e entre plusieurs identités parfois incompatibles entre elles, vous sentirez que vous êtes porteur d’UNE seule identité faite de plusieurs appartenances et d’expériences culturelles. Voici certains points importants qui vous aideront à la re/trouver :

A) Se reconnecter au présent

Nous avons vu à quel point l’espace-temps pour un expatrié est une dimension centrale dans sa vie de tous les jours. Finalement, le seul moment qui existe vraiment n’est ni celui où vous étiez, ni celui où vous auriez pu être, ni celui où vous serez, mais bien celui ou vous êtes. Et cet espace est immense, voir illimité car votre présent comprend plusieurs réalités: l’espace ou vous êtes actuellement, les interactions que vous avez ici avec ici et ici avec là-bas, ce que vous ressentez aujourd’hui de ce qui se passe ici et là-bas etc… Les limites géographiques ne définissent pas autant qu’avant votre présent. Se connecter au présent c’est quelque part s’extraire des limites spatiales pour se concentrer sur sa temporalité: faire primer le maintenant plutôt que l’ici.

B) Réinventer le bonheur

“Le bonheur est la rencontre réussie entre l’être humain et la vie. Tout simplement. Le voyage peut contribuer à construire cette rencontre.” Autonomadie, essai sur le nomadisme et l’autonomie, Franck Michel, p.106.

J’ajouterai que l’expatriation aussi car elle favorise une variété incroyable de rencontres : la rencontre de l’autre, de lieux et de soi. Par la mobilité géographique, on touche peut-être plus facilement du doigt au sentiment d’appartenance à la vie.

Le risque pour un expatrié, est peut-être de vouloir reconstruire un contexte de bonheur qu’il a toujours connu dans un contexte qui lui ait inconnu. Comme vous le pressentez: mission impossible. Le sentiment de déracinement trouve peut-être ici sa fonction: il permet de se questionner sur ce qui fait bonheur pour en realite le réinventer. C’est en déconstruisant les représentations qui appartiennent à “avant” que celles de “maintenant” surgiront.

Lorsque l’on grandit et vit dans une géographie connue et aimée, le sentiment d’appartenance à cet espace peut participer au sentiment de bonheur. Nous utilisons de nombreux mots pour le décrire ce sentiment de bonheur : “se sentir connecté”, “être aligné”, “être en phase” etc… L’expatriation vient bouleverser cette appartenance géographique et du aux opportunités qui ont été les nôtres, l’on se voit parfois évoluer dans un endroit qui n’est ni sien, qui n’a pas toujours été désiré ou qui n’est pas aimé. L’expatriation et le déracinement viennent requestionner le sens des appartenances et nous poussent à voir, à connaître et à sentir plus loin et plus grand.

C) S’enraciner autrement

Qu’y a-t-il de plus loin et plus grand ?

La réponse me semble limpide: les limites du connu, autrement dit l’inconnu ! L’expatriation et le sentiment de déracinement nous donnent l’occasion de reconstruire en nous-même une nouvelle appartenance. C’est une occasion de s’enraciner dans un pot plus grand.

L’appartenance est un sentiment qui se construit, qui se sent et qui peut inclure l’abstrait. Il ne doit pas forcément respecter une logique rationnelle ni respecter des réglementations ou des lois. L’appartenance est de l’ordre de l’intime, et en toute intimité, par des exercices introspectifs tels que la méditation, il est possible de développer une appartenance qui en étant plus large, sera aussi plus résistante au temps et au changement.

Si par exemple, vous décidez de planter vos racines dans un pot de couleur différente mais de même taille que le précédent, lorsqu’un autre changement géographique aura lieu vous risquez de voir surgir à nouveau le sentiment de déracinement. Si par contre, vous choisissez un pot plus grand, qui inclut un choix plus grand d’appartenances, le risque est moins grand.

Cette métaphore vient finalement nous montrer que pour s’enraciner de nouveau, il est préférable de bien choisir le contenant (le pot), mais nous verrons que le choix du contenu (la terre) est tout aussi important.

A quoi décide t-on d’appartenir ?

Dans un contexte de mobilité à l’international, le mouvement et le changement font bien souvent partie du quotidien : déménagements, voyages, rencontres, déménagements des amis, reconversions professionnelles etc… Il me semble alors intéressant de créer une appartenance à ce qui n’est pas changeant ou susceptible de l’être.

Qu’est-ce qui, dans votre vie, résiste au changement ?

Les réponses peuvent être variées et sont évidemment personnelles. Mais il existe des éléments qui universellement sont toujours présents dans nos vies: l’air, notre corps, notre famille, la terre sur laquelle nous marchons, le ciel, les astres, l’eau, les continents, la vie sous toutes ses formes etc… L’important étant de choisir et de se focaliser sur des éléments à caractère universaux et qui ont cet étrange pouvoir de connecter l’être vivant à ce qui le dépasse. L’appartenance se délocalise et de singulière elle prend une dimension collective, ce qui, en retour crée un sentiment de grande liberté.

Vous êtes tenté de travailler psychiquement vos racines et de découvrir un autre type d’appartenance ? Au travers d’une analyse et d’exercices de relaxation, nous pouvons ensemble travailler de l’intérieur et vous aider à vous sentir à votre place là ou vous êtes.