Parfois, l’envie de partir est là, elle tape à la porte depuis de nombreuses années ou bien elle s’invite sans crier gare. Partir, envie d’ailleurs, de connaitre le monde, partir…
Alors commence une course effrénée entre l’index et la souri, pendant que le postérieur est au fond du canapé. Ça clic clic clic sur toutes les émissions, les reportages, les témoignages concernant le sujet. L’envie est forte et envahissante. Elle dépasse l’enthousiasme de l’organisation de quelques semaines de vacances. Les possibles destinations défilent sous les yeux, les capitales, les paysages magnifiques se multiplient, les couleurs et les sourires s’imposent.
Et puis, dans toutes les vidéos que l’on parvient à visionner, dans la majorité des reportages ou blogs de voyages, certains mots reviennent, comme s’il y avait un vécu universel à vivre, dans l’expérience de l’ailleurs :
envie d’une pause, le renouveau, tout recommencer, nouvelle vie, rencontres, partage, les possibles, s’inventer, zéro limite, liberté…
Alors, souvenirs de vacances, souvenirs de voyages inoubliables s’actualisent… On se rappelle cette joie indescriptible de découvrir une nouvelle culture. On se remémore la chaleur spectaculaire de cette famille qui nous avait invité à manger, dans la simplicité du moment. On rit de ces rencontres fortuites et hors du communs qui ont été faites dans un vieux bus tout cabossé par la vie. Et ces paysages, ces motos, cette folie grouillante qui nous ont fait goûter à la saveur puissante de la liberté, du moment présent. Oui, c’est ça partir !
Et si ça durait plus longtemps ?
Et si cette fois … en partant … je me donnais l’occasion que tout cela soit mon quotidien?
Alors commence un débat intense avec soi-même: ou? quand? comment? pourquoi? Le couple, la famille, les amis, le boulot etc… Les projections commencent, les fantasmes s’unissent face à la peur de l’inconnu qui pointe son nez. Et c’est à ce moment là, que plusieurs choix cruciaux sont à faire.
Partir ou rester ? Partir oui, mais voyager ou s’expatrier ?
Plus qu’un simple choix, il s’agit de la première étape de prise de conscience de la réalité. Partir vivre à l’étranger, que ce soit une expérience limitée dans le temps ou non, n’implique pas les mêmes conséquences qu’un voyage au tour du monde, ou qu’un trip en bateau d’une année. Ce qu’il y a à gagner et à perdre est très différent.
Le voyage, l’expérience de l’ailleurs, est quelque chose de puissant. Mais cela l’est pour une raison simple et concrète: votre sentiment de sécurité interne reste intact.
Je m’explique. Si vous lisez cet article c’est que probablement vous vivez en France (ou que vous êtes francophone), si c’est le cas, vous faite alors partie d’un des pays les mieux placés économiquement sur l’échelle mondiale. Selon le FMI (Fonds Monétaire International) la France en 2017 est la 6ème puissance économique mondiale avec un PIB qui plafonne à 2 570 milliards d’euros. Donc, malgré les défauts de ce système vous partez dans des circonstances aidantes, confortables, qui ne mettent pas en péril votre retour. Vous avez le droit de prendre une année sabbatique, vous bénéficiez peut-être de votre chômage, vous avez trouvé des sponsors qui soutiennent votre voyage, vous avez contracté une super assurance santé rapatriement, votre employeur actuel adhère à votre projet parce que ça le fait rêver aussi, presque tout votre entourage partage cette envie etc… Le voyage devient alors une pause, une parenthèse que l’on s’accorde dans cette vie trépidante française, un privilège qui nous permet de prendre du recul avec la vie que l’on mène. Et parce que vous partirez dans un contexte qui ne remet pas en question tous vos choix, parce que la vie d’avant est en pause et non en deuil, parce que vos amis vous attendent et vous lisent sur votre blog, oui ce voyage pourra être vécu très positivement.
Ce n’est pas l’expérience en soi qui est grandiose, c’est votre état d’être qui rend grandiose l’expérience.
Lorsqu’on se sent en sécurité, sur tous les plans (affectif-financier-matériel), changer le quotidien devient principalement une expérience agréable. On se sent alors DISPONIBLE et ouvert pour les rencontres, pour le moment présent. Les angoisses existentielles se font rares. On s’allège et on se sent en phase avec la vie. Mais cela n’est possible que parce que temporaire, délimité dans le temps avec des parachutes et un passeport (passe-porte?) français dans le sac à dos. Le voyage peut difficilement devenir un quotidien serein sitôt qu’il perd son identité de voyage en se transformant en choix de vie. Car à ce moment là, des renoncements sont à faire.
S’expatrier, est une autre expérience. Je pourrais même utiliser le terme d’immigration, car tous ceux qui décident de s’installer durablement dans un autre pays, ne le font pas tous par le biais professionnel d’une entreprise française.
Ceci dit, celui qui souhaite s’installer sur plusieurs années à l’étranger, vit une expérience différente du voyageur, il est soumis à d’autres lois, et doit faire face à d’autres questionnements bien plus complexes.
Complexe est le terme approprié, en effet il se défait de ce qui le sécurise pour TOUT reconstruire. Son sentiment de sécurité interne est complètement remis en question car il entame son départ, contrairement au voyageur, par le processus de deuil.
Le migrant-expat dit Adieu et prend conscience qu’il doit faire le deuil de la vie qu’il a encore au bout des doigts. Adieu à son lieu et style de vie, adieu aux proches qu’il ne reverra peut-être jamais, à son métier ou son évolution de carrière, à ce qu’il a construit et matérialisé ici. Etre confronté au deuil c’est vivre un “facteur de déséquilibre qui peut donner lieu à des souffrances physiques” (Marie Frédérique Bacqué, psychologue et psychanalyste française).
C’est un pari fou avec la vie, qui lui demande de se dépouiller de tout ce qu’il connait, avant d’accueillir l’inconnu qui l’attend. Cela, sans aucune certitude que ce qui vient sera au moins aussi bon, que ce qu’il quitte.
Un saut dans le vide, qui de par son caractère radical, exclut toutes possibilités de retour en arrière. Car même s’il y a retour en arrière, des actes ont déjà été posés, la vie n’est déjà plus la même. C’est un choix qui ne laisse pas le choix. Une fois pris, la seule possibilité qu’il nous reste, est de l’assumer. Peu d’expériences de vie nous offrent cette circonstance de retour impossible dans un monde ou on zappe, on efface, on repeat de plus en plus. Le chemin est parfois plus important que le but. Je crois que vivre l’expat-immigration est de ceux là.
Finalement, l’un des premiers enseignements de la vie à l’étranger est d’apprendre à faire des choix et à les assumer. Et ce n’est que le début. Vient ensuite l’arrivée dans le pays, qui là encore diffère du voyage. L’instinct de survie apparaît et laisse alors peu de place à l’émerveillement de l’inconnu. Bien-sur, il y a une phase euphorique à l’arrivée dans le pays d’accueil. Sa durée varie selon votre situation personnelle et professionnelle. Plus vous partez avec quelque chose de concret qui vous attends sur place, plus cette phase euphorique dure.
Mais dans un cas comme dans l’autre, une fois l’exotisme passé, la réalité du pays d’accueil et les questions existentielles s’imposent.
Freud, dans Totem et Tabou et Psychologie des foules et analyse du Moi, explique pourquoi l’intégration à un groupe nécessite d’accepter de perdre une partie de soi-même. C’est une autre phase qui se met alors en place, le principe de réalité est là et les fantasmes de cette vie à l’étranger s’estompent. Évidemment, si dès le début vous avez bien répondu à la première question de cet article: “Voyager ou s’expatrier?” la douche n’est alors pas froide, mais plutôt tiède. Si dès le début vous avez construit votre projet d’expatriation comme une expatriation et non comme un voyage, cette phase sera plus douce et plus facile à dépasser. Il me parait alors primordial de débuter son projet après avoir répondu à ce premier dilemme.
L’expatriation, plus qu’une expérience, est un processus. Il y aura des étapes, il y aura des changements, il y aura des découvertes. Un processus créateur se met en place pas à pas, et permettra par un déclic ou en douceur, de se réinventer.
Vivre au bout du monde, c’est quelque part aller au bout de soi. C’est toucher ses limites, celles que l’on connaissait pour en découvrir de nouvelles. Après avoir renoncé à sa vie d’avant, après avoir commencé à comprendre les règles de fonctionnement du nouvel environnement, vient ensuite le moment où l’on entrevoit la place que l’on aurait envie de prendre. Les possibles s’ouvrent à nouveau, la joie se réinstalle. Pas une joie explosive comme celle liée à notre ancienne naïveté, mais une joie plus … mature, posée, et profonde. Profonde car elle s’enracine dans cette renaissance et dans le sentiment de confiance en soi, qui en découle. On oublie de dire que ce processus est complexe, troublant, terrifiant parfois, mais qu’une fois vécu et dépassé, il est profondément libérateur et restructurant. Faut-il encore accepter d’être déraciné et chamboulé.
L’êtes vous ?
Ecrit par Chani SABATIER, psychologue clinicienne interculturelle
www.expatpsy-enligne.com
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